C’est une histoire digne des pièces de Molière et de ses nombreux rebondissements. En à peine deux semaines, nos fils d’actualité se sont remplis d’articles : « Elon Musk devient l’actionnaire principal de Twitter », « Elon Musk rejoint le conseil d’administration de Twitter », « Elon Musk propose de nouvelles fonctionnalités Twitter », « Elon Musk critique la politique de modération de Twitter », « Elon Musk ne siègera pas au conseil d’administration de Twitter », « Elon Musk veut racheter Twitter ».
Beaucoup d’articles, beaucoup de mouvements en avant puis de fuite vers l’arrière. Si vous ne comprenez pas ce qui se passe avec Elon Musk et Twitter ou que vous ne voyez pas l’impact que cela peut avoir sur nos business, suivez le guide.
Au passage, nous organisons un webinar sur le marketing d’influence avec Maud Serrault, responsable du pôle Social Media Influence & Contenus et Gwenn Gautier, Social Media & Influence Manager, le jeudi 6 avril 2023. Pour vous inscrire, cliquez sur l’image ci-dessous :
4 au 9 avril 2022 : actionnaire majoritaire et futur membre du conseil d'administration
Lundi 4 avril, c’est la révélation : depuis le 14 mars, Elon Musk possède 9,2% des actions de Twitter. Ce qui fait de lui l’actionnaire principal du réseau social. À peine remis de la nouvelle, le mardi 5 avril, le CEO de Twitter Parag Agrawal, fait une annonce qui inquiète autant qu’elle intrigue chez les employé·es et les utilisateur·ices de Twitter : le patron de Space X rejoindra le conseil d’administration dès le 9 avril. À ce titre, il influera donc sur les décisions, la stratégie et le futur de l’oiseau bleu.
Résultat : la bouse s’emballe, la valeur de l’action Twitter bondit de 27%.
De son côté, Elon Musk fait ce qu’il adore faire : tweeter (en moyenne 10 tweets / jour). Il imagine de nouvelles fonctionnalités comme la possibilité de payer son abonnement Twitter Blue en dogecoin et lance un sondage dont l’enjeu n’est autre que la création d’un bouton « éditer ». Face à la déferlante d’avis enthousiastes à cette idée (quelque 73%), Twitter annonce travailler sur cette nouvelle fonctionnalité.
Pour l’instant, tout est simple, tout est clair.
9 avril : le 1er retournement de situation
Alors que de notre côté de l’Atlantique, nous passions notre week-end à éplucher puis dépouiller les votes pour les présidentielles, Elon, lui continue de tweeter. Sauf qu’il ne s’agit plus de se demander quelles pourraient être les nouvelles fonctionnalités du réseau, mais de s’en moquer ouvertement en proposant de supprimer le « w » de twitter… ou de s’y attaquer de manière frontale, citant ouvertement les comptes les plus suivis n’ayant pas posté depuis un certain temps et posant la question qui fait mal : « Twitter est-il en train de mourir ? »
Finalement, la nouvelle est rendue publique : l’excentrique multimilliardaire a décidé de faire marche arrière. Il ne rejoindra pas le conseil d’administration de Twitter. Elon Musk supprime ses tweets sur l’avenir de Twitter. Le CEO de l’oiseau bleu, quant à lui confirme l’information le lundi estimant, par ailleurs, que « c’est sûrement pour le mieux ».
Pourquoi refuser une place au conseil d'administration ?
Elon Musk ne s’est pas exprimé sur ce revirement (à part avec un tweet d’un bonhomme pouffant de rire, depuis supprimé). Plusieurs raisons pourraient toutefois expliquer son retournement de veste.
- Possibilité 1 : garder sa liberté. En devenant membre du conseil d’administration, Musk avait une obligation vis-à-vis des actionnaires : celle de leur reverser de belles dividendes. Conséquemment, il perdait sa liberté de tweeter ce qui lui passe par la tête, notamment des critiques et autres moqueries de l’oiseau bleu. Par ailleurs, il perdait également sa possibilité de vendre à sa guise ses actions.
- Possibilité 2 : la nomination d’Elon au CA était conditionnée à une vérification de ses antécédents. Le multimilliardaire aurait pu refuser cette enquête, notamment pour rester sous les radars de la SEC. Pari loupé si tel était le cas puisque plusieurs actionnaires ont déposé un recours contre lui. La raison ? Le patron de Tesla avait l’obligation de déclarer que sa prise de participation dépassait les 5% dans les dix jours, donc maximum le 24 mars (or, si vous avez suivi, il l’a fait le 4 avril).
- Possibilité 3 : une prise de contrôle hostile. En rejoignant le board de Twitter, Elon s’engageait à conserver sa participation au-dessous de 14,9%. En refusant au dernier moment, il se laisse donc la porte ouverte à une prise de contrôle hostile. Comment ? En s’associant à un fonds pour forcer la main au conseil pour vendre et / ou pour mettre en place de sérieux changements sur la plateforme. Possibilité la plus probable pour l’analyste Dan Ives qui dit se préparer à une série digne de Game Of Thrones. Préparez les pop-corn.
- Possibilité 4 : le patron de SpaceX voulait simplement s’amuser un peu et faire parler de lui.
Update – jeudi 14, Musk futur propriétaire de Twitter ?
À peine quelques heures après le partage de cette analyse dans notre newsletter Decriiipt, nouveau coup de théâtre ! Un document transmis au gendarme de la Bourse américaine donne raison à Dan Ives : Elon Musk propose de racheter Twitter pour la « modique » somme de 54,20$ par action (référence à peine cachée à « 420« , chiffre associé au cannabis et qu’Elon Musk aime à réutiliser). Soit 41,39 milliards de dollars. Une bonification de 21% par rapport au cours d’ouverture du titre ce jeudi. Le fondateur de Tesla et de Space X a donc choisi la voie de l’OPA surprise… et hostile.
Il s’en justifie dans une courte mais incisive lettre envoyée à Bret Taylor, président du conseil d’administration de Twitter.
I invested in Twitter as I believe in its potential to be the platform for free speech around the globe, and I believe free speech is a societal imperative for a functioning democracy.
However, since making my investment I now realize the company will neither thrive nor serve this societal imperative in its current form. Twitter needs to be transformed as a private company. […] Twitter has extraordinary potential. I will unlock it.«
Lettre d’Elon Musk à Bret Taylor, membre du conseil d’administration de Twitter
Si l’on passe outre les accusations de mauvaise gestion du réseau, Musk annonce très clairement son plan : racheter Twitter, faire sortir la plateforme de la bourse pour la transformer en profondeur, particulièrement pour tout ce qui touche à la liberté d’expression. Ce rachat n’est donc pas tant économique que purement politique. Elon Musk s’autoqualifie de « Free speech absolutist » et prône une liberté d’expression dans sa forme la plus brute (bien qu’il ne soit pas étranger aux manœuvres pour s’assurer que les lèvres de ses employée·es demeurent closes). Ce qui lui a permis de devenir la figure de proue des mouvements « anti-censure » trumpistes qui ne pardonnent toujours pas à l’oiseau bleu d’avoir banni l’ancien président ainsi que 70 000 comptes liés à la mouvance QAnon au lendemain de l’assaut du Capitole. Tucker Carlson, star de la chaîne Fox News décrit ainsi Musk comme « le dernier espoir »…
Si, pour le moment, nous n’avons pas d’informations quant aux discussions du board, celui-ci s’étant contenté de dire qu’il allait « étudier la proposition », des nouvelles ne devraient pas tarder à arriver. Dans sa lettre, Elon Musk précise qu’il s’agit de sa première et dernière offre. Une offre qui, selon Dan Ives (encore lui), serait difficile à refuser. En effet, pour refuser cette offre il faudrait que d’autres investisseurs prennent position contre Musk, au risque de le voir claquer la porte ou leur rendre la vie dure (probabilité que le multimilliardaire n’exclue pas lui-même, précisant : « My offer is my best and final offer and if it is not accepted, I would need to reconsider my position as a shareholder.« ).
Un plan parfaitement orchestré ?
Loin d’être une suite d’événements spontanés ou la conséquence d’une inhabilité à prendre des décisions chez le fondateur de Space X, l’ensemble des actions réalisées depuis le 28 janvier (date à laquelle Musk a commencé à acheter des actions Twitter) semblent avoir servi une finalité : le rachat de la plateforme.
C’est en tout cas l’avis de plusieurs actionnaires de Twitter qui ont porté plainte contre lui estimant « qu‘en gardant le silence sur sa participation croissante dans Twitter, Musk a pu maintenir artificiellement le prix de l’action à la baisse et l’acheter à un prix intéressant. ». De même ses nombreux tacles et critiques à l’égard du réseau social, de son fonctionnement et de sa politique de modération lui auraient permis de conserver des prix plus bas et surtout, de réécrire son histoire, auquel il donnerait probablement un titre dans les eaux de « Elon Musk : seul contre tous pour la défense de la liberté d’expression ».
Pourquoi ça doit nous intéresser ?
Car c’est le futur de Twitter qui est en jeu. Fervent utilisateur de la plateforme qu’il critique ouvertement et régulièrement, Elon Musk pourrait en changer les règles profondément. Son utilisation, son fonctionnement pourraient s’en voir totalement bouleversés, notamment au niveau de la modération. Si le rachat venait à aboutir, cela pourrait également entraîner une baisse de la fréquentation de la plateforme comme forme de protestation.
Autant de changements qui ne manqueraient pas d’avoir des conséquences sur les marques présentes sur l’oiseau bleu…
Texte initialement partagé dans l’édition 146 de Decriiipt. Toutes les deux semaines, recevez dans votre boite mail les décriiiptages de l’actualité CX et marketing. Pour cela, rien de plus simple : inscrivez-vous à notre newsletter ici.
Pour aller plus loin
- Casey Newton, « Elon Musk bids for Twitter », Plateformer
- Amanda Silberling, « Elon Musk says he ‘doesn’t care about the economics’ of buying Twitter« , TechCrunch
- Le thread Twitter de Corentin Sellin
- Faiz Siddiqui, Aaron Gregg, « Elon Musk attempts hostile takeover of Twitter, calling path ‘painful’« , Washington Post
- Chris Stokel-Walker, « Elon Musk Has Triggered a Battle for the Future of Twitter« , Wired
- Alexandre Piquard, Damien Leloup, Vincent Fagot, « Elon Musk propose de racheter Twitter« , Le Monde