L’invasion de l’Ukraine par la Russie ce 24 février restera, sans aucun doute, dans les livres d’Histoire.
En à peine quelques jours, cette opération militaire lancée par Vladimir Poutine a totalement rebattu les cartes, créant de véritables défis dans chaque aspect de nos sociétés. Humainement, politiquement, économiquement…
Cette guerre multiforme, qui se joue aussi bien sur les réseaux sociaux que dans les banques et sur le terrain soulève un bon nombre de questions. Parmi elles : une question très simple, est-ce que nous devons en parler ?
Véritable éléphant dans la pièce, chez Decriiipt on s’est un peu torturé l’esprit. On en parle, on n’en parle pas ? Si oui comment ? Si non, comment fait-on pour l’éluder ? Est-ce notre rôle d’en parler ? Est-ce que ça a du sens ?
On a décidé, après moult débats, que oui. À condition de le faire sous notre prisme : celui d’un média marketing et CX.
Alors, sans transition parlons de l’éléphant dans la pièce et de ses effets dans nos métiers.
Check-up cybersécurité
C’est l’un des enjeux le plus souvent soulevé : les risques de cyberattaques. Risque dont les entreprises ne sont pas exclues, particulièrement quand on sait que 2021 était déjà une année noire en termes de cyberattaques.
L’ANSSI (Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d’Information) appelle donc les entreprises « à la vigilance » et a émis un certain nombre de recommandations à suivre, construites autour de 5 piliers :
- Le renforcement de l’authentification sur les systèmes d’information.
- Le renforcement de la vigilance, notamment de la part des équipes de supervision.
- La sauvegarde hors-ligne régulière de l’ensemble des données.
- La définition d’une vision claire et à jour des différents systèmes d’information pour pouvoir définir le niveau d’importance et de criticité de chacun.
- S’assurer de l’existence d’un dispositif de gestion de crise adapté à une cyberattaque.
Par ailleurs, l’ANSSI renvoie également vers ses 42 mesures pour renforcer la sécurité de son SI ainsi que vers son guide “Anticiper et gérer sa communication de crise cyber”.
La transformation de nos outils tech
La nouvelle a fait pas mal de gros titres : Google Maps, en concertation avec le gouvernement Ukrainien, a pris la décision de couper la fonctionnalité “trafic en temps réel” de son service sur le territoire ukrainien.
La raison ? La fonctionnalité était utilisée par les deux camps pour connaître la position des troupes. Ce sont donc vers les images des satellites de l’Agence Spatiale Européenne que de nombreux·ses militaires, journalistes et simples “badauds” se sont tourné·es pour tenter de suivre, en temps réel, l’avancée des combats. Les plus consciencieux, armé·es de Google Sheet, couplent d’ailleurs ces données avec les contenus partagés sur les réseaux sociaux pour avoir une lecture la plus fine et à jour de la situation.
Nos outils tech de tous les jours ont donc vu leurs usages réinventés pour servir la guerre et les stratégies militaires. Fini les codes secrets et autres messages cryptés qu’il fallait intercepter. Désormais, il s’agit de récolter de la donnée qui est déjà présente et de l’exploiter. Non plus pour faire vendre, ou pour trouver le parfait contenu à pousser, mais pour localiser le camp adverse. À titre d’exemple, plusieurs articles racontent comment Tinder est devenu un outil de localisation des soldats Russes !
Autant de transformations et d’usages détournés qui posent de vrais questionnements au sein des entreprises propriétaires de ces services. Faut-il couper l’accès au service dans ces zones ? Le faciliter ? Ou bien rendre indisponible le service dans son intégralité ? Autant de décisions qui peuvent avoir un véritable impact sur les activités de l’entreprise ainsi que sur son image et sa réputation.
La guerre des images, de la communication, des réseaux sociaux
Il suffit d’ouvrir un livre d’Histoire pour savoir que la guerre des images s’est toujours pratiquée. Et, depuis le Printemps arabe, elle se fait sur les réseaux sociaux. C’est encore plus le cas aujourd’hui où les deux camps, se mènent une guerre sur les différents réseaux existants, avec des stratégies bien différentes.
Du côté ukrainien
Ce sont, sans grandes surprises les réseaux sociaux occidentaux qui sont utilisés par le gouvernement pour relayer l’actualité (notamment grâce à une boucle telegram). Avancées, informations importantes, messages d’espoir côtoient ainsi des tutos pour apprendre à faire la guerre, recette du cocktail molotov et de l’anatomie d’un char russe compris.
Les différents réseaux sociaux sont également utilisés pour dénoncer l’invasion Russe auprès… de la population russe elle-même ! Comment ? En filmant des soldats russes faits prisonniers, pour la plupart des adolescents tout juste majeurs, appelant leurs parents, racontant l’horreur de la guerre et les mensonges auxquels ils ont pu être confrontés. Le ministère a même mis en place une hotline pour les parents de soldats russes inquiets et promet de “rendre leurs enfants à leurs mères.”
Une stratégie de communication brillamment complétée par les membres du gouvernement eux-mêmes, avec, en premier lieu, le président. Avec ses vidéos façon selfie, très simples et sobres, où il apparaît souvent sur le terrain, Volodymyr Zelensky est devenu une figure phare des réseaux sociaux et a vu ses nombres de followers exploser (+1,5 million en une journée !). Gagnant ainsi en popularité et en visibilité, cette fois-ci au niveau international. Au point même où il est devenu une figure incontournable… transformé en meme et donnant lieu à toute une nouvelle pop culture, qui fait déjà l’objet de plusieurs business.
Du côté de la Russie
La communication de l’Ukraine et de son président contraste (volontairement ?) avec celle de Vladimir Poutine, peu adepte des nouvelles technologies auxquels il préfère les modes de communication plus institutionnels.
Il faut dire que, depuis plusieurs années, le président Russe mène contre ces plateformes une lutte acharnée, rendant illégale, dès 2018, la messagerie Telegram. Et, en plein cœur du conflit, c’est au tour de Meta d’être tout bonnement banni de l’ancien pays des tsars et de Twitter d’être restreint. Le tout cumulé à une nouvelle loi “punissant l’information mensongère sur l’armée”. Loi rétroactive qui punit jusqu’à 15 ans de prison toutes celleux qui oseraient ou auraient osé s’exprimer contre la guerre en Ukraine. Ou parler de guerre tout court.
Seul réseau social à tenir le coup ? VKontakte, le « Facebook russe ». Quoi de plus logique quand on sait qu’il a été racheté l’an dernier par le Kremlin qui l’utilise comme relais de sa propagande auprès des plus jeunes.
Pour autant, parce que les réseaux sociaux occidentaux sont interdits dans les faits ou dans la loi sur le territoire russe, cela ne signifie pas qu’ils ne demeurent pas un outil de communication du Kremlin. En effet, selon plusieurs chercheurs, ceux-ci sont utilisés pour diviser la population internationale sur le sujet de l’invasion. Rien de nouveau sous le soleil, puisque cet usage avait déjà été révélé par The Guardian avec les “Kremlin Papers”. Néanmoins, avec le bannissement de RT ou Sputnik, celle-ci perd en efficacité. Même si elle demeure, pour David Chavalarias, directeur de recherche au CNRS digne de l’art de la guerre de Sun Tzu (on vous laisse découvrir son analyse très intéressante par ici).
#WarTok
Mais s’il y a bien un réseau qui est au centre de cette guerre, c’est TikTok. Les trends du réseau social sont désormais appliqués à la réalité du combat d’une manière franchement déconcertante.
Ce qui s’explique autant par la facilité d’utilisation de l’application (en termes de montage et de publication, ByteDance ayant depuis longtemps déployé le partage hors-ligne), que par la popularité de la plateforme et son algorithme.
Et si cela permet à la fois d’informer et de rappeler que, derrière ce flux d’informations constant qui nous atteint, il y a de véritables personnes, avec une vie, des sentiments, des inquiétudes ; c’est également un véritable nid à désinformation… De plus, le mode de fonctionnement même de l’algorithme de TikTok permet non seulement de faire circuler ces fake news beaucoup plus vite, mais aussi de faire “taire” des comptes assez facilement pendant plusieurs jours, qu’ils soient légitimes ou non.
Fini le “pas responsable”
Meta, Twitter, TikTok, YouTube… les principaux réseaux sociaux ont mis en place des mesures plus ou moins importantes contre le gouvernement russe, rompant un peu plus avec leur neutralité historique et leur discours de “chevalier blanc de la liberté d’expression”. Un mouvement qui s’inscrit dans celui commencé lors de l’assaut du capitole. Et c’est Donald Trump qui doit être ravi de pouvoir surfer sur cette vague avec le lancement de Truth Social.
Les marques, sommées de prendre parti. Les revenus des annonceurs bouleversés
Les marques sont également sommées de choisir un « camp ». Sur Twitter, Mykhailo Fedorob, le ministre ukrainien du numérique s’est directement adressé à Tim Cook, Bill Gates, Jeff Bezzos ou Elon Musk mais aussi à des entreprises comme SAP, Oracle, Viber, Paypal, MasterCard ou encore Visa pour leur demander de cesser leurs services en Russie.
Une technique qui semble porter ses fruits : Netflix, Apple, Samsung, Microsoft, Oracle, Airbnb, ou encore Starlink (pour ne citer que ces grandes marques), ont ainsi annoncé boycotter le marché russe et/ou mettre en place des actions de soutien à l’Ukraine et à ses réfugié·es.
Des initiatives motivées en partie (pour ne pas dire entièrement, essayons de ne pas être cynique voulez-vous ?), par la pression des consommateur·ices. En effet, si l’on prône de plus en plus le fait d’être engagée pour une marque, c’est le moment de le prouver ! Ainsi, selon le Gartner, 8 personnes sur 10 attendent des marques des actions concrètes après l’invasion de la Russie. Pas question donc de faire l’autruche. Il faut adresser la situation. Et le faire bien.
Le but : parler de la paix et du soutien à l’Ukraine et à sa population, tout en évitant toute association avec les côtés plus négatifs de la guerre. En gros, rester dans les émotions positives (la solidarité, l’entraide, l’universalisme) pour ne pas tomber dans la politique et le militaire.
Et forcément, cela demande un certain travail de la part des annonceurs. Ceux-ci ne veulent pas se retrouver comme Applebee’s, qui a vu sa publicité diffusée en ouverture du JT ce CNN consacré à l’invasion russe… La “brand security” et son image globale restent donc la priorité. Conséquemment, on voit déjà des chutes dans le budget des annonceurs qui doivent désormais trouver l’équilibre périlleux entre acteur impliqué de la société et “brand safety”.
Vers une accélération des nouvelles technologies ?
Souvent pour le pire, quelques rares fois pour le meilleur, la guerre a entraîné le développement de nouvelles technologies. On peut logiquement se demander si, cette guerre confirmera ou non la règle.
Pour l’instant, les indicateurs semblent plutôt aller vers la validation de cette théorie. Il suffit, pour s’en rendre compte, de jeter un œil à l’usage des cryptomonnaies. Alors que la Russie est isolée économiquement, de plus en plus de Russes se tournent vers ces monnaies virtuelles et particulièrement, vers le Bitcoin. Pour le spécialiste de la blockchain et de la cybersécurité Ihsen Alouani :
“L’adoption du Bitcoin des deux côtés de la guerre, en Ukraine comme en Russie, pourrait conduire à une acceptation croissante de la devise numérique comme monnaie et plus seulement comme un actif”.
Par ailleurs, pour lever des fonds, le ministre Mykhailo Fedorob a annoncé la création de NFT.
Une idée que d’autres associations et groupes à l’image des Pussy Riots ont déjà déployée pour soutenir le pays.
Par ailleurs, dans le but d’échapper à la loi de censure appliquée par la Russie (mentionnée plus haut), la BBC a décidé d’utiliser un moyen pour le moins inédit pour réussir à faire passer les informations : utiliser Tor, un moteur de recherche accessible seulement depuis le dark web. Un usage qui tendrait à se démocratiser également ?
Pour conclure… pas de conclusion
Pour le coup, il n’y a pas réellement de conclusion. La raison à cela est très simple : à l’heure où j’écris ces lignes, il n’y a pas de conclusion à la guerre en Ukraine. Alors, en l’absence de boule de cristal qui me permettrait de vous dire que tout fini bien, dans le meilleur des mondes, je m’abstiendrai de tirer les cartes.
Une chose demeure néanmoins certaine : nos usages de la technologie ainsi que nos stratégies marketing resteront durablement bouleversés par cet évènement. Comment, seul le temps nous le dira…
Un dernier mot
Un certain nombre d’entreprises tech françaises se mobilisent pour apporter leur soutien à l’Ukraine. N’hésitez pas à vous renseigner par ici. Et, pour celles et ceux qui voudraient agir à un niveau individuel, Camille Cocaud, a monté la plateforme WeUkraine pour recenser les initiatives citoyennes près de chez soi.