Le 11 juillet, la marque de luxe Jimmy Choo a ouvert les portes (éphémères) de son café : le Choo Café. Un espace rose bonbon niché en plein cœur de Harrods, où la déco comme la nourriture, sont directement inspirées de la nouvelle ligne de sac à main du créateur.
Un mois plus tôt, c’est la maison Louis Vuitton qui célébrait l’ouverture de son premier restaurant gastronomique français (après la création de ceux d’Osaka et Tokyo). Aux manettes de ce restaurant de luxe ? Mory Sacko, un ancien candidat de Top Chef.
En parallèle, à la Fashion Week de Paris, on a pu voir débarquer une robe 3D signée par Iris van Herpen pour la marque… Magnum. En moins fancy, Pokawa et Deliveroo ont collaboré pour lancer une chemise aux couleurs estivales, directement inspirée de l’univers des deux marques.
Serait-on en train d’assister à un épisode de “on a échangé nos mamans” version business ? Pourquoi brouiller ainsi les frontières entre mode et gastronomie ? Quel(s) intérêt(s) les marques y trouvent-elles ? Doit-on s’attendre à voir tous nos restaurants préférés lancer des collections de mode et à manger dans nos enseignes de mode préférées ? On a tenté de decriiipté tout ça.
Une pratique tout sauf nouvelle pour les marques fashion
Première chose à savoir : ce n’est pas la première fois que des marques de mode se lancent dans la gastronomie. Cette pratique est déjà monnaie courante dans un certain nombre de pays. En 2015 vous pouviez déjà flâner au Gucci café à Shangaï, au Café Thomas de Burberry à Londres ou encore au Ralph’s Coffee, situé au dernier étage du magasin Ralph Lauren de la célèbre 5th avenue. Quant à Armani, il y a 7 ans : c’était déjà 13 restaurants et autres bistrots-café que la marque comptait autour du monde. C’est d’ailleurs au couturier que l’on doit le tout premier food-store luxe au monde. C’était en 1998 et ça se passait, à Paris, capitale mondiale de la gastronomie. Le couturier expliquait alors :
« J’ai toujours voulu que la marque Armani devienne une expression de style de vie, de simplicité sophistiquée comme signe d’élégance dans tous les domaines, et la nourriture qui est l’un des éléments les plus importants de la vie quotidienne ne pouvait pas manquer. »
Alors, pourquoi en parle-t-on (seulement) maintenant ? Si la pratique n’est pas nouvelle, sur le vieux continent, elle restait majoritairement sous-développée, particulièrement comparée à d’autres zones géographiques comme l’Asie ou les Etats-Unis. Pour s’en rendre compte, il suffisait de comparer le nombre de food-stores en Europe vs dans ces deux espaces. Toutefois, depuis 2019, la différence tend à se réduire et les food-stores européens, et particulièrement ceux lancés par des magasins de luxe, semblent pousser comme des champignons. Ce qui revient à nous demander, une fois encore, mais pourquoi maintenant ?
Le food-store : raisons d’un amour qui dure et perdure
Si le premier food-store date de 98’, comment expliquer leur explosion aujourd’hui, 24 ans après ?
Première raison, et non des moindres : réussir à créer une véritable expérience client qui va bien plus loin que le simple achat d’une pièce. Une étude de 2017, toujours aussi révélatrice des usages, montrait que 6 millennials sur 10 préféraient dépenser 10 000$ pour une expérience que pour un produit. Conséquence logique de la transformation d’une société de bien en une société de service. Le fait est que le constat est sans appel : aujourd’hui il ne suffit (plus) d’avoir un bon produit. Il faut créer l’expérience autour de son achat. Repousser le territoire de marque pour créer des ponts entre celle-ci et la vie quotidienne de son consommateur, de manière à devenir un élément incontournable de sa vie. C’est, par exemple, typiquement le cas des podcasts de marque qui viennent susurrer à l’oreille de leur cible, parfois sur des sujets, de prime abord, assez éloignés de l’activité première. Et cela à des moments autrefois difficilement atteignables (jogging, vaisselle, en voiture, etc.).
Avec la création de restaurants, cafés et autres bistrots, l’idée est similaire. De la même manière que le lieu, la lumière, l’ambiance sonore ou la décoration de chaque magasin physique doivent retranscrire l’ADN de la marque, ces lieux doivent également être représentatifs de la vision, du style de vie prôné par la marque. A titre d’exemple, on imagine moins Chanel créer un restaurant de street food que Balenciaga. Et c’est normal : si la seconde maison, plus jeune et urbaine se revendique comme telle, la marque Chanel, quant à elle, est porteuse de l’héritage de sa fondatrice et d’un certain art de vivre à la française (quoique cela veuille dire). Or la gastronomie est justement un terrain de jeu parfait pour essayer de retranscrire son identité : entre cuisine traditionnelle, traditionnelle réinventée, fusion, nouveaux plats, cafés à l’italienne ou tea time anglais… Et les ponts entre ces deux mondes sont nombreux, l’enjeu étant, dans le fond du fond similaire : transformer une matière brute en une œuvre d’art capable de susciter de l’émotion.
Au-delà de cette similitude sur le fond, la création d’un food store est également un véritable enjeu sur la forme. En imaginant de tels endroits, en investissant autant dans ces lieux, leurs atmosphères et dans la carte imaginée, le but premier reste de faire vendre. Faire vendre en :
- Invitant le·a client à rester après ses achats, pour qu’il se sente bien, qu’il s’imprègne de la marque, et veuille y retourner.
- Le pousser à flâner dans le magasin, à craquer sur une pièce, quand bien même il était venu, de base, pour se restaurer.
Chacun de ses deux scénarios permettant, par ailleurs, de fidéliser le client et d’en faire des ambassadeurs dans la mesure où ils feraient découvrir le restaurant à des proches. Le parfait exemple de la puissance de cette stratégie ? IKEA bien sûr.
Alors, on vous voit venir avec vos sabots (gros ou petits, cela n’a pas d’importance) : “oui mais vous avez dit que ça existait depuis 98, et même IKEA ils ont lancé leurs restaurants dans les années 60, du coup pourquoi on en parle en 2022 ?”. La réponse repose en un mot, ou plutôt un virus : covid-19.
Avec la pandémie et les différents confinements, le shopping en ligne a explosé. L’enjeu pour les marques était alors de faire face, de développer, vite, des systèmes de ventes digitales innovants, efficaces et performants. Dans l’ère post-covid (ou en tout cas, où l’on apprend à vivre avec), l’idée devient tout autre : redonner le goût du shopping IRL et faire revenir les clients en magasin. Eux qui ont pris la douce habitude de la commande en un clic, du confort de l’essayage à domicile et de l’achat sans bouger du canapé. Et pour cela, quoi de mieux que de surfer sur l’élément qui a le plus manqué aux Français·es pendant la pandémie : les restaurants, bars et autres cafés ? Plus qu’une simple invitation au shopping, c’est une invitation à la célébration, à la fête que les marques tentent de vendre.
Et l’inverse du coup ?
Si les marques de luxe sont donc désormais de plus en plus nombreuses à ouvrir des espaces de restauration, ne vous inquiétez pas trop pour les restaurateurs qui se lancent, eux, dans la mode en suivant exactement les mêmes codes que… les marques de luxe of course !
Deux façons de faire pour cela :
- Option n°1 : collaborer avec des stylistes et autres créateurs de mode influents. Choix, entre autres, de McDonald’s qui, en 2021, en plein pic de la mode “street wear”, collaborait avec la marque Snipes pour une collection exclusive “Sauce it up”. Et qui vient tout juste de retenter l’expérience en avril au Canada avec, comme partenaire, la marque de mode engagée Peace Collective. Une jeune marque engagée, parfaite pour tenter d’améliorer son image.
- Option n°2 : compatible avec la précédente et directement inspirée de la vente de luxe : la collection limitée. C’est la direction choisie par Mcdonald’s pour ses différentes collections mais également par Subway pour sa première incursion dans le monde ô combien cruel de la mode (6 pièces en édition limitée) ou de Pizza Hut. Le but étant ici de créer l’envie sur les réseaux sociaux et de pousser à l’achat, quand bien même les prix seraient dissuasifs (tout de même + de 100$ pour le jogging Hut Couture).
Le point commun entre toutes ces collections ? Elles surfent allègrement sur le principe de la newstalgia en s’inspirant de l’esthétique des années 90, remise au goût du jour, notamment par Stranger Things. (Et c’est Kate Bush qui les en remercie !).
Mais que gagnent les marques à se diversifier dans la mode ? La réponse évidente serait de l’argent. Une réponse parfaitement logique quand on voit le prix de certaines pièces. Pour autant, un certain nombre de marques, McDo notamment, annoncent reverser les bénéfices à des associations. Les gains ici sont moins pécuniers qu’immatériaux. L’enjeu étant, de nouveau, de faire vivre une expérience d’un nouveau type à ses clients, de créer des communautés d’aficionados qui s’affichent fièrement avec ces collections et qui sont prêts à se battre (parfois littéralement) pour mettre la main sur chacune des pièces sorties. Car c’est là que nos restaurateurs ont eu le nez creux : pour créer le buzz et susciter l’envie, ils se sont directement inspirés des stratégies des marques de luxe en pariant sur la rareté et l’exclusivité. De quoi scinder la communauté en deux : les ultra et les autres. Celleux qui attendent de mettre la main sur le précieux sésame qui leur permettra de rejoindre officiellement le club. Un pari gagné quand on voit l’engagement et le buzz que la sortie de chaque collection de restauration suscite !
À ce point de l’article, une seule inconnue demeure encore : le diable mange-t-il à Prada habillé en McDonald’s ? Vous avez 4 heures.